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Si ton frère a commis un péché contre toi, va lui faire des reproches seul à seul. Il y a dans cette phrase deux mots qui m’étonnent : contre toi. Je ne crois pas qu’on puisse pécher contre moi. On peut me faire du tort, me faire de la peine, me blesser. Mais je n’imaginerais pas de donner à cela le nom de péché. Si quelqu’un commet un péché, c’est contre Dieu. Si mon frère (ou ma sœur) commet un péché, il est bon que j’attire son attention sur sa faute, pour éclairer sa conscience, pour lui éviter d’en faire une habitude, qui finirait par l’écarter de Dieu et l’éloignerait du bonheur. Si l’enjeu est celui-là, on comprend que Jésus recommande, quand l’entretien individuel reste sans effet, de recourir à la médiation d’une ou deux personnes. Si cela aussi échoue, il faut mettre toute la communauté dans le coup, on ne peut pas prendre le risque de laisser ce frère ou cette sœur s’égarer définitivement. Et si le coupable s’obstine et refuse même d’écouter l’Église, on le considère comme un païen et un publicain. Cela ne veut pas dire qu’on le méprise, qu’on le rejette. Cela veut dire qu’il faut faire pour lui ce que saint Benoît recommande à l’abbé du monastère dans de telles circonstances : « S’il voit que toute son habileté n’a rien obtenu, il emploiera alors un moyen plus efficace, sa prière et celle de tous les frères pour lui, afin que le Seigneur, qui peut tout, rende la santé à ce frère malade » (Règle des moines 8, 5). Autrement dit, si quelqu’un s’exclut lui-même de l’Église, s’il se comporte comme un païen, il reste notre frère, pour qui le Christ est mort.

Mais toute cette procédure, ce recours à l’assemblée de l’Église, cette prière de la communauté entière, tout cela se justifie-t-il quand il s’agit d’un péché contre moi, contre moi seul ? J’ai peine à le croire. Si ton frère a commis un péché contre toi… À vrai dire, les mots contre toi, qui ne sont pas dans le passage parallèle de l’évangile de Luc, manquent aussi dans un bon nombre de manuscrits de celui de Matthieu. Ils sont ignorés par beaucoup de traductions, dont l’ancienne version liturgique. Certaines d’entre elles signalent en note qu’on trouve ici ou là cette addition, mais qu’elle est malencontreuse.

Alors, qu’allons-nous faire ? Un simple trait de plume dans le lectionnaire, pour éviter qu’on lise ces deux mots à l’avenir ? Ou bien nous demander si les auteurs de la nouvelle traduction avaient de bonnes raisons de les ajouter ? Il y a parmi eux des personnes que nous connaissons personnellement et avec qui nous entretenons des relations d’amitié fraternelle. Ils ont réalisé un travail admirable, ne faut-il pas en recueillir tous les fruits ? J’ai réfléchi, je me suis demandé dans quelle mesure une faute commise contre moi pouvait mériter que j’en parle à l’Église. J’ai songé à deux réponses, deux pistes. Vous y ajouterez les vôtres.

La première me vient de l’actualité récente, de toutes ces horreurs qui ont été portées à notre connaissance ces dernières années, du scandale de la pédophilie et des abus sexuels, dans l’Église et hors d’elle. Cela ne doit plus arriver, plus jamais. Alors, nous devons comprendre que la faute dont une personne est victime risque de se reproduire ailleurs, en met d’autres en danger. Si ton frère a commis un péché contre toi, demande-toi s’il n’est pas aussi disposé à le commettre contre d’autres, et arrête-le, par tous les moyens recommandés par l’évangile, avant qu’il ne fasse de plus amples dégâts.

L’autre intuition est que chaque personne est plus précieuse qu’elle ne peut l’imaginer. « Ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, nous dira Jésus, c’est à moi que vous l’avez fait. » Si ton frère a commis un péché contre toi, c’est le corps tout entier de l’Église qui est blessé, et le Christ, qui en est la tête. Alors, va le dire à ton frère, avant qu’il ne soit trop tard.

Fr. François Dehotte

Lectures de la messe :
Ez 33, 7-9
Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9
Rm 13, 8-10
Mt 18, 15-20

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