Quelle richesse dans notre écoute biblique d’aujourd’hui. La première lecture parle de commencement, la seconde parle de mort, le psaume évoque le bonheur familial au long des jours et l’évangile, par le truchement des pharisiens, aborde la réalité conflictuelle de beaucoup de couples pour finir par l’éloge des enfants comme exemple à suivre pour entrer dans le Royaume.
Que retenir de tout cela?
Commençons par une remarque : Adam n’a pas eu de mère, Ève non plus entre parenthèses, elle a dû apprendre sur le tas. Et pourtant, il se passe quelque chose d’étrange dans le récit de la Genèse: le Seigneur fit tomber sur Adam une torpeur, un sommeil mystérieux « tardémah », Adam est plongé dans son inconscient, dans ses profondeurs intérieures, comme Abraham le fut, après lui, lors de l’Alliance avec Dieu et la circoncision, quand lui et sa femme changent de nom et reçoivent la lettre ה (celle qui fut rajoutée à ish pour faire une femme ishah).
Ce changement correspond à la grande conversion d’Abraham qui comprend que son plus grand désir, avoir un fils, ne se réalisera pas par ses exploits religieux ou sa grande foi mais par une relation respectueuse et équilibrée avec sa femme Saraï, ma princesse (une chose), qui devient alors Sarah (princesse), une personne, un vis-à-vis avec qui on peut parler, ouvrir un avenir, donner la vie. Le mot torpeur « tardemah », assez rare apparaît seulement dans ces deux récits.
L’autre jour, avant la messe quelqu’un me dit « Bonne dévotion! ». Je me dis que le mot a vieilli, mais il me reste en tête et m’interroge. Puis dans le livre que je suis en train de lire, je découvre qu’un psychanalyste, Winicott, utilise ce mot « dévotion » pour décrire les soins infinis qu’une mère apporte à son bébé et qui permettent à la santé mentale de l’enfant de s’édifier et de s’ouvrir au monde sans qu’il soit traumatisé.
Pour réaliser cela, la mère n’a pas besoin d’être savante, mais bien de se donner sans compter, d’être entièrement attentive, disponible, dévouée …
Si nous ramenons le mot « dévotion » dans notre sphère religieuse. Dieu nous apprend à prier par son amour inconditionnel. Et comme la prière devient lumineuse et belle quand elle incarne ces valeurs humaines (féminines) fondamentales: se présenter au Seigneur sans condition, dans la plus grande présence possible, avec attention, disponibilité et dévouement !
Ce portage nécessaire qui ouvre à la création et à la vie, c’est peut-être ce que Dieu a réalisé dans l’inconscient d’Adam pour qu’une part de lui-même ait cette capacité et devienne une femme. En ce sens, la femme connaît le chemin de Dieu. L’homme connaît et reconnaît les animaux et a un certain pouvoir sur eux en les nommant, mais le nom qu’il donne à la femme c’est le sien avec la lettre « hé » et la voyelle « a » en plus : ishah qui pourrait vouloir dire « vers homme »; « hé » direction de … La femme indique la direction d’une humanisation/divinisation: l’homme accompli.
Ce n’est pas tout à fait le poème d’Aragon « La femme est l’avenir de l’homme ». La femme indique un au-delà d’elle-même, un but, un sens ultime qui est l’accomplissement en Dieu.
Et l’homme accompli, le nouvel Adam, c’est le Christ dans la lettre aux Hébreux qui descend dans le tréfonds de la souffrance et de la mort. Lui aussi est plongé dans une torpeur, cette grande torpeur du tombeau. Jésus qui fut porté par une femme devenue toute écoute plonge au tréfonds de l’humain, dans la réalité de la mort pour en faire surgir non plus une femme mais la force de renouvellement de la vie, la Résurrection voulue et donnée par le Père. La vie en Dieu, dernier degré de l’Humain.
C’est à la lumière de ce mystère qu’il faut entendre l’enseignement de Jésus sur le mariage.
Au-delà de nos embarras, des permis et interdits, des lois et actes de divorce, de nos échecs et de nos culpabilités, il y a l’enfant symbole de la simplicité et de l’unité qui grandissent en nous et nous font ressembler à l’UN plus beau que tout et qui aime envers et contre tout.
Fr. Renaud Thon
Lectures de la messe :
Gn 2, 18-24
Ps 127 (128), 1-2, 3, 4-6
He 2, 9-11
Mc 10, 2-16