022-Prière-001

Les lecteurs de Tintin se souviennent sans doute de ce personnage haut en couleur qu’est Abdallah, ce jeune arabe qui a la faculté de vous mettre une maison sens-dessus-dessous rien qu’en la traversant. Il n’est pas un exemple de sagesse ni de patience, c’est le moins qu’on puisse dire. Pourtant son nom recèle une belle signification puisque Abdallah veut dire  » Serviteur de Dieu » en arabe. C’est la même racine qu’en hébreu Havad : travailler, puis servir, travailler pour. Ce mot nous apprend qu’il y a une maturation, une croissance dans la liberté pour passer du travail contraint au service offert. Le mot Havodah résume d’ailleurs bien tout ce dynamisme spirituel de l’Exode, signifiant esclavage, travail-service et culte. Passer de la supplication à la louange, c’est tout le programme de l’exode et du psautier, voyage qui requiert beaucoup de patience.

« Nous sommes de simples serviteurs; nous n’avons fait que notre devoir. » Pouvoir dire cela, c’est avoir la patience d’être ce que nous sommes sans retour sur nous-même, sans ressentiment, amertume ou envie. Mais ce n’est pas toujours facile. L’évangile nous suggère qu’on peut imaginer inverser les rôles : que le maître serve son serviteur et que le serviteur prenne la place du maître.

Dans la vie de saint Benoît, il est raconté qu’un soir, à une heure tardive, un jeune moine éclairait son vénérable abbé Benoît en train de prendre son repas, montant la garde à ses côtés avec une lampe. Le texte suggère que ce jeune homme provenait d’une famille aisée. Tout à coup, il est pris de vertige dans ses pensées et se dit :  » Qui suis-je pour servir ainsi de domestique à cet homme ? Et lui, pour qui se prend-t-il au fond ? » Saint Benoît perçut ce trouble intérieur et interpella son disciple pris d’orgueil :  » Mon frère, signe ton cœur. Qu’est-ce que tu dis là ? Signe ton cœur. » Il lui prit la lampe des mains et lui demanda de s’asseoir en paix.

Benoît met d’abord la situation sous le signe de la croix, il oriente l’attention vers celui qui partageait la condition de Dieu et qui a pourtant pris la dernière place en acceptant la mort de la croix. Ensuite il invite le jeune à prendre conscience de son obscurcissement (la lampe lui est prise des mains) et de s’asseoir en paix.

La position assise est celle de l’étude, un retour à la Parole pour se refaire. C’est ce que préconise aussi le Seigneur à son prophète Habacuq, impatient devant la situation qu’il vit.  » Combien de temps, Seigneur, vais-je appeler sans que tu entendes ? » Et la réponse est : « Assieds-toi, écris ta vision en vue d’une lecture. Ce sera une semence pour le temps fixé ». Si elle semble tarder, patience; elle viendra certainement. Le dynamisme est celui de la lectio divina : lecture, méditation, oraison, contemplation et action. La vie surgira dans la fidélité à cette croissance qui se fait en nous, d’étape en étape, lentement mais sûrement, car la fidélité s’acquière par l’épreuve du temps.

Le psaume responsorial nous questionnait :  » Aujourd’hui écouterez-vous sa Parole ? » Et Jésus, dans l’évangile, renvoie aussi à la Parole les disciples qui ont toujours en tête l’obsession de savoir qui est le plus grand, le plus important. Naturellement ils sont encore dans l’ordre de la compétition et de la hiérarchie. Avec un peu de foi, « vous auriez dit à l’arbre que voici, déracine-toi et va te planter dans la mer. » Il y a là une allusion au psaume 1 où le juste est comme un arbre trans-planté au bord des eaux, qui tire son énergie de la Parole murmurée et méditée. Pas seulement planté, mais trans-planté, comme Abraham, Moïse et tous les justes de l’ordre naturel à l’ordre surnaturel que proposent la Torah et l’Evangile. Celui-là donne son fruit en son temps. Patience d’une maturation qui offre les fruits de l’amour.

Finalement la foi, c’est la simplicité de laisser la force de la Parole, sans peur ni honte, nous traverser et agir en nous sans plus d’adhérence à son propre intérêt, sans trouble sur la place que nous occupons : en prison comme Paul, en train de servir son maître ou assis à la plus belle place. L’intérêt de Dieu est devenu le nôtre et notre intérêt, c’est la Vie de Dieu. Le dynamisme de Dieu peut couler sans obstacle.

Fr. Renaud Thon

Lectures de la messe :
Ha 1, 2-3 ; 2, 2-4
Ps 94 (95), 1-2, 6-7ab, 7d-8a.9
2 Tm 1, 6-8.13-14
Lc 17, 5-10

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