Commençons par ce qui risque de nous choquer : «Heureux ceux qui pleurent. » Qui parmi nous oserait dire pareille chose à quelqu’un qui pleure, qui souffre ? Nous savons bien que Jésus a passé une bonne partie de son temps à consoler, à guérir, à encourager les hommes et les femmes qu’il rencontrait. Si Jésus a consacré autant de temps à guérir et à consoler, cela veut dire que toute souffrance, toute maladie sont à combattre dans la mesure du possible. Aussi, il ne faut pas comprendre que Jésus déclare que c’est une chance de pleurer et de souffrir ! (Marie-Noëlle Thabut)
Mais alors, que signifie « être heureux » pour les auditeurs de Jésus? Dans le Premier Testament, ce n’est pas un constat : « tu en as de la chance !» C’est un encouragement à tenir bon. A. Chouraqui traduit ce mot ainsi : « En marche », sous-entendu : Tu es bien parti, tu as en toi la force d’aller de l’avant ! On peut l’entendre aussi comme : « Tiens bon, garde le cap.» Pour celui qui se sent rejoint dans sa souffrance, cela signifie : « Confiance, ne te laisse pas décourager ! » Un geste chaleureux et discret, une larme peuvent avoir le même effet. Paroles et attitudes auxquelles recourut aussi Jésus manifestant ainsi sa compassion et à travers lui la tendresse de Dieu lui-même pour tout humain blessé ou pécheur repentant !
« Heureux ceux qui pleurent », voilà bien une invitation de Jésus destinée aux petits, aux oubliés, à ceux qui ne font pas de bruit. Il s’agit de susciter une brèche, une ouverture, si ténue soit-elle, dans un cœur meurtri ou encore de semer un petite graine d’espérance sans présumer de ses effets.
Revenons à la première béatitude : «Heureux les pauvres de cœur car la Royaume des cieux est à eux ! » De l’avis de Jean-Jacques Durré, elle englobe toutes les autres. Certes, ce n’est pas une idéalisation de la pauvreté matérielle : la Bible présente toujours la pauvreté comme un mal à combattre. Il faut ajouter que ce n’étaient pas les gens socialement influents qui suivaient Jésus. On lui a reproché de fréquenter n’importe qui !
Au sens biblique (anavim), ce sont ceux qui n’ont pas le cœur fier ou le regard hautain, comme le dit un psaume. Jean-Jacques Durré les appelle « les dos courbés. » Ils ne sont pas repus, satisfaits d’eux-mêmes, comme l’était le pharisien de la parabole. Notoires pécheurs, ils le reconnaissent aussi aux yeux de Dieu. C’est avec humilité, qu’ils se tournent vers Dieu et attendent de lui leur salut. Entendre une telle parole de Jésus devait les rejoindre et les encourager dans leur désir de conversion alors qu’ils se sentaient rejetés et condamnés de tous. Ainsi la femme adultère amenée aux pieds de Jésus pour être jugée ! En fait, ils se reconnaissent dépendants de Dieu, de son pardon. Cette disposition du cœur nous permet de recevoir toutes les autres béatitudes.
Les béatitudes signifient alors oser recevoir la miséricorde, le pardon, la compassion, la paix du cœur, la douceur, la soif de justice et de paix comme cadeau venant de Dieu. C’est encore mettre ces talents au service du Royaume qui se construit peu à peu à la suite du Christ. Agir ainsi est souvent considéré comme insensé et fou aux yeux des hommes. Le disciple de Jésus qui accepte de dépendre ainsi de Dieu subit souvent moqueries, indifférence, tourments. Certains sont arrêtés car ils osent dénoncer injustices, corruptions, fake news … Vivre les béatitudes, c’est s’ouvrir à un don qui nous dépasse, qui nous invite à quitter notre confort pour ne plus y revenir, alors que pressions de l’entourage et vertige lié au «pourquoi prendre un tel risque» surgissent parfois de toute part ! La bonne nouvelle annoncée et vécue par Jésus, c’est que le regard de Dieu n’est pas celui des hommes qui recherchent leur bonheur dans l’avoir, le paraître, le pouvoir, le savoir. Ceux qui cherchent Dieu savent que ce n’est pas de ce côté-là qu’il faut chercher. Il se révèle aux doux, aux miséricordieux, aux pacifiques et parfois là où on ne l’attend pas.
La profession de foi de l’auteur de la première lecture, exprimée à travers une vision, nous invite à élever notre regard plus haut encore. S’adressant à des communautés juives menacées dans leur foi, il recourt à des images puisées dans leur tradition cultuelle. A travers elles, il les encourage à faire le choix du Royaume proposé par les béatitudes et leur annonce, qu’à travers le Christ, l’Agneau mis à mort, Dieu a vaincu le mal et la mort. L’Agneau a entraîné avec lui, non seulement une multitude de toutes les tribus d’Israël mais aussi une foule innombrable de toutes nations, peuples et langues. Tous ensemble, vêtus de robes blanches, ils constituent ceux et celles qui ont traversé la grande épreuve et qui ont blanchi leur robe dans le sang de l’Agneau.
Bien-aimés de Dieu, acceptons d’être façonnés par lui dès ici bas et joignons notre louange à celle de ceux qui contemplent déjà notre Père des cieux dans un face à face! Qu’il en soit ainsi, un jour, pour nous aussi!
Fr. Jean-Albert Dumoulin
Lectures de la messe :
Ap 7, 2-4.9-14
Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6
1 Jn 3, 1-3
Mt 5, 1-12a