Un jour il y avait une famille sur la plage et la maman demanda à son enfant de lui dessiner une maison sur le sable, ensuite elle lui demanda de faire une fleur, puis de dessiner le bonheur. Alors l’enfant se redressa, regarda à gauche et à droite puis devant lui vers la mer et lui dit : « Maman, il n’y a pas assez de place. ».
Il y a quelques années, on entendait dans les chansons de variété un chanteur qui s’écriait: « C’est quand le bonheur ? », un autre se demandait plutôt il est où le bonheur et aujourd’hui Christophe Maé chante la diversité des gens et parmi ceux-ci il y a des gens heureux… Il y a près d’un siècle, Alain, le philosophe, a laissé son esprit vagabonder dans ses propos sur le bonheur : « quoi de plus difficile à surmonter que l’ennui, la tristesse ou le malheur de ceux que l’on aime ? » dira-t-il, et il poursuivait en disant qu’il n’y a pas de cadeau plus beau à faire que de donner le bonheur. C’est :« l’offrande la plus belle ».
La première parole de Jésus dans le passage de l’évangile de Matthieu que nous venons d’entendre est «Heureux… » Ce mot revient plusieurs fois dans le passage d’aujourd’hui et il n’est pas rare dans la Bible, notamment dans les psaumes. D’ailleurs le psautier s’ouvre par une béatitude: « Heureux l’homme qui ne suit pas la voie des impies… mais se plaît dans la loi du Seigneur. » (Ps1,1-2) Dans le Nouveau Testament, Marie est déclarée heureuse parce qu’elle a cru dans la parole de Dieu. Heureux n’est pas simplement une formule de salutation ni un souhait. Ce mot apparaît plutôt comme une proclamation de salut. Le mot hébreu que l’on traduit par « heureux » a une signification plus ancienne, celle de « marcher » ou de « s’avancer ». Ainsi les Béatitudes s’adressent aux personnes qui veulent marcher dans la voie ouverte par l’évangile. Heureux ceux et celles qui veulent marcher sur les chemins de Dieu en compagnie de Jésus.
Et ce matin, nous sommes particulièrement heureux car Élouane, une jeune fille amie de la communauté, à demandé de communier pour la première fois chez nous lors de cette eucharistie de la Toussaint. Elle vient de France où elle s’est préparée avec ses proches à recevoir le corps du Christ aujourd’hui.
Nous sommes heureux d’être tous ensemble témoins de la démarche de foi d’Élouane qui va accueillir Jésus pour continuer à marcher pour le suivre : comme quand les disciples demandaient à Jésus où il demeure. Il leur a dit: « Viens et suis-moi », ou, dans l’évangile de Jean quand Jésus disait à Pierre « que t’importe, toi suis-moi ! ».
Quand j’étais enfant et c’est encore le cas pour beaucoup de chrétiens aujourd’hui, la Toussaint était pour moi un jour de souvenir des morts de la famille, on visitait les cimetières pour fleurir les tombes de nos ancêtres.
Et depuis mon entrée au monastère, je découvre que la Toussaint est bien plus une fête des vivants, la nôtre et celle et de tous ceux et celles qui continuent leur chemin dans le Royaume de Dieu comme Maud, la grand-maman d’Élouane qui nous a quittés il y a un an.
Elle n’est plus ici à côté de nous, mais je crois que Maud fait partie des saints que nous fêtons aujourd’hui. Ceux-ci sont très proches de nous -certains sont même connus de nous seuls – et nous montrent silencieusement la voie du bonheur.
Alors où est le bonheur ? Il n’est pas au bout du chemin, il est le chemin. Même si nos chemins ne sont pas faciles et que nous devons tout tenter pour faire grandir la justice et pour rester ouverts aux autres et à soi-même, c’est sur ce chemin-là que nous vivons aujourd’hui que Dieu nous promet le bonheur. En Belgique, nous sommes habitués aux autoroutes, des chemins tout droits avec les sorties indiquées bien à l’avance. Mais la vie n’est pas une autoroute, elle ressemble plus à un petit sentier dans les bois où on peut tomber, se tromper, se relever et repartir. Le chemin peut changer de direction car nous ne sommes pas sur une voie tracée d’avance; chacun, fût-il sur un chemin sinueux et silencieux est attendu pour y découvrir des paysages nouveaux et faire des rencontres qui resteront uniques.
C’est pour cela qu’il n’y aura jamais assez de place pour dessiner le bonheur.
Fr. Pierre Gabriel
Lectures de la messe :
Ap 7, 2-4.9-14
Ps 23 (24), 1-2, 3-4ab, 5-6
1 Jn 3, 1-3
Mt 5, 1-12a