JEUDI SAINT

Nous vous proposons de nous suivre, pendant ce Triduum pascal confiné, à travers les textes bibliques, des méditations, la liturgie des heures, un écho des grandes célébrations pascales, des photos et de la musique. Puisse tout cela nous réunir.

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MÉDITATION

Frère Renaud nous propose la méditation suivante :

En ce jeudi saint atypique, nous pensons spécialement à tous ceux qui n’ont plus la possibilité de participer à l’eucharistie et en ressentent tristesse ou manque. De notre côté, au sein de notre monastère, nous la vivons autrement, dans un lieu plus approprié pour un petit groupe. Quand je nous regarde, en cercle, partager le pain et le vin, j’imagine les apôtres lors des premiers pas de l’Eglise, ayant au cœur une espérance naissante, mêlée à encore un peu d’inquiétude d’un hors-les-murs incertain.

Cela nous apprend en tous cas à redécouvrir l’importance de la cène dans une vie chrétienne. Chaque jour, au réfectoire, nous écoutons une lecture en mangeant. Certains disent que cela ne sert à rien, parce qu’on n’écoute pas ou ne retient pas ce que l’on entend. Je ne suis pas d’accord. Il est vrai que je ne me souviens pas de ce que j’ai mangé, il y a quinze jours, comme je ne me souviens pas de ce qu’on a lu à ce même repas. Par contre, il y a des repas qu’on oublie pas, parce que la nourriture était particulièrement bonne, parce qu’une sensation gustative a fait surgir en moi un souvenir profond et chargé d’émotion, parce qu’un regard y a été partagé faisant du bien à l’âme. De la même manière, il y a des passages de lectures faites au réfectoire, qui m’ont nourri, qui m’ont mis en recherche pour les retrouver et les méditer plus profondément, qui m’ont mis en mouvement spirituellement. Remarquez que saint Benoît aime souligner l’analogie entre le repas eucharistique et le repas communautaire pris au réfectoire. Il y a aussi un parallélisme géographique entre l’église et le réfectoire.

Bref, il y a quelques jours, nous écoutions le document du pape François, fruit du synode sur l’Amazonie, dans lequel, il rappelle « qu’aucune communauté chrétienne ne peut se construire sans trouver sa racine et son centre dans la célébration de la très sainte eucharistie. » Elle est  » le grand sacrement qui signifie et réalise l’unité de l’Eglise, et qui est célébré  » afin que d’étrangers, de dispersés, et d’indifférents les uns les autres, nous devenions unis, égaux et amis. » Celui qui préside l’eucharistie doit prendre soin de la communion qui n’est pas une unité appauvrie, mais qui accueille la multiple richesse des dons et des charismes que l’Esprit répand dans la communauté. C’est pourquoi l’eucharistie, source et sommet, exige que cette richesse multiforme se développe. »

Dans un style plus lyrique, j’ai retenu aussi ces lignes à propos du père Pierre Ceyrac, compagnon de Jésus en Inde, dont nous avons écouté la biographie: « Entre la mer et le ciel, devant ces hommes si forts et si fragiles, sur le bateau qui tangue, la messe convoque l’univers. La dimension cosmique de l’Eucharistie, si importante pour Monchanin et Le Saux, comme pour Teilhard de Chardin, le touche. Il sait que le sacrifice qu’il offre est pour le monde entier, « sur » le monde entier, que tout se joue là, se récapitule là.  » La fête de la messe, l’Eucharistie, est aussi la fête du cosmos. C’est particulièrement important pour moi, écrit-il dans Pèlerin des frontières. Lorsque le père Le Saux disait la messe devant les massifs de l’Himalaya, près des sources du Gange, il offrait toutes ces splendeurs inouïes de montagnes de neige, et ce fleuve extraordinaire. »… L’aspect cosmique du sacrifice, cette conscience que l’être humain n’habite pas seulement l’univers mais en fait partie et que mondes animal, végétal et humain doivent coexister en toute harmonie, est très présent dans l’hindouisme. Sa grande connaissance de la religion hindoue accroît alors sa capacité à célébrer de tout son être. Comme le brahmane, le prêtre sacrifiant convoque l’univers entier, rééquilibre le monde, le réunifie.

La messe est le moment essentiel de sa journée – le moment de la joie, dit-il – et il n’a jamais manqué de la célébrer quelle que soit l’urgence de ses activités, témoignent ceux qui l’ont accompagné sur ses différents chemins. Il n’y a rien au monde de plus beau que la messe… mais il sait qu’il offre aussi, dans le même sacrifice tout le malheur du monde. Il n’oublie jamais de faire mention avec les défunts de tous ceux qui meurent dans la solitude. Il est comme traversé par les souffrances de tant de souffrants anonymes et inconnus de tous qu’il remet dans l’hostie et tend comme une supplique vers le Ciel. »

Notre esprit gavé d’informations et de performances technologiques a tendance, pris par la routine, à critiquer l’eucharistie, à trouver insignifiant son langage inaccessible, son aspect répétitif,… Ne devrions-nous plutôt chercher à redécouvrir sa force vivifiante et inusable, comme le suggère les lignes ci-dessus ou encore le regard pénétrant de Grégoire de Narek, moine arménien des environs de l’an mille qui voyait dans le mystère de l’eucharistie une véritable initiation de prière pour révéler à l’homme qui il est en vérité. Grégoire concevait son livre de prières comme une avancée par étapes dans une église jusqu’au mystère eucharistique en partant du seuil jusqu’au sanctuaire. Le seuil se serait l’ego, partie périphérique de notre être, toujours tentées de se tourner vers l’extérieur, de se laisser fasciner par des objets externes qui le flattent ou le blessent et l’enferment ainsi sur lui-même. Mais si l’ego se tourne vers l’intérieur, il découvre un deuxième cercle de l’être qui est le moi, lui-même ouvrant la porte d’un sanctuaire: le je qui découvre un Tu et devient SOI.

On passe ainsi selon les étapes de l’initiation de l’état d’esclave à celui de disciple, et troisièmement à celui de fils qui laisse entrevoir le sanctuaire de la divinisation:  » Le Père et moi, nous sommes UN. »

Mais revenons au seuil de l’église, c’est l’étape de la messe du rite pénitentiel. Et Grégoire nous invite à ne pas juger, à ne pas exclure, à ne pas faire nous-même le tri de ceux qui sont dignes d’entrer à la table du Seigneur et de ceux qui ne le sont pas.  » Si l’on crie vers toi en te louant, en proclamant ton être, peu importe qu’on ait été sept fois condamné à une double peine… Corbeaux et colombes, étalons impétueux et brebis, chiens féroces et agneaux prêts au sacrifice… » l’assemblée eucharistique est composée de pécheurs variés en voie de conversion. C’est le sens de la demande de pardon au début de la messe.  » Nous approchons du mystère, comme la femme cherchait à toucher le vêtement de Jésus, comme le rideau du sanctuaire est le vêtement de Dieu.

Entrés dans l’église, nous recevons l’eucharistie d’abord comme annonce et partage de la Parole.  » Accorde au pécheur que je suis d’enseigner avec assurance ce mystère vivifiant, la bonne nouvelle de ton évangile, et de parcourir d’un bond, sur les ailes de la pensée, les immenses chemins des deux testaments où réside ton souffle. »

Deux testaments écrits et un souffle, une respiration qui doit gonfler les voiles des mots pour les rendre à l’oralité, au moment présent de la proclamation. Les lettres écrites nous relient à l’origine. L’écrit est témoin que Dieu s’est exprimé dit Dalia de Macar, mais l’oral va faire comme si on était là au moment même. S’approprier le texte, c’est le rendre à l’oral, réaliser l’événement.

Cela nous amène alors à pouvoir nous impliquer personnellement, nous engager dans la profession de foi. Je trouve intéressant que Grégoire considère le credo comme une règle de vie, c’est-à-dire comme quelque chose d’existentiel. La profession de foi est un mouvement trinitaire. Cela bouge et circule dans l’Unité de Dieu. Le Père est le principe, le Fils la lumière révélée et L’Esprit, l’Amour en actes, si bien que l’Un nous pousse à crier:  » Aime l’homme que je suis. » Communier à cette Parole du credo, c’est goûter Dieu, c’est réveiller l’expérience que nous avons de Dieu. En récitant le credo, je peux me rappeler comment, dans mon existence concrète, j’ai découvert Dieu comme source de ma vie, comment le Fils me rend vraiment humain en s’incarnant en moi et comment un amour que je croyais impossible m’est donné.

Une foi non animée par l’amour est comme un livre tombé dans l’eau qu’on ne sait plus lire que par bribes. Grégoire utilise une autre métaphore:  » Seulement est-il permis par ton décret royal et ta règle de vie, de crier:  » Seigneur Adonaï  » sans pratiquer tes commandements ? Cependant je me suis brisé moi-même, tablette d’or douée de raison où ta dextre divine avait tracé ta loi, destruction méritée. Et maintenant me voici avec l’encre noir à triste mine, cherchant à m’en refaire une deuxième copie. » On perçoit l’importance de connaître par cœur le credo, les psaumes, des passages d’évangiles, pour reconstituer par le mariage de notre mémoire et de notre expérience ce qui nous a engendré à la foi

Pour terminer, arrivés à l’autel et à la communion, notons que la plus belle offrande qui puisse en résulter est la prière pour les ennemis, signe d’une belle surabondance évangélique.

Pouvoir dire en sincérité au Christ:  » Je te prie de bénir ceux que je maudis, de relâcher ceux que je retiens, d’acquitter ceux que je condamne, de favoriser ceux que je réprouve, de couronner ceux que j’outrage, de consoler ceux que je contriste,… » La prière pour les ennemis est ainsi le couronnement de l’office et de la liturgie que l’on peut adresser au Christ, et c’est bien ce qu’Il nous enseignera demain, au chemin de sa croix.

Fr. Renaud

INTERMÈDE

Tradition sépharade
El pan de afflicion
Jordi Saval et la Cappella de Catalunya

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CÉLÉBRATION DE LA CÈNE

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Lectures de l’office :
Ex 12, 1-8.11-14 ;
Ps 115 (116b), 12-13, 15-16ac, 17-18
1 Co 11, 23-26
Jn 13, 1-15

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Interlude :

J.S. Bach
Num Komm der Heiden Heiland, BWV 659
Alfred Brendel

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Homélie :

Il n’y a pas d’homélie ce jour, les frères feront entre eux un partage d’évangile.

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« Croire que chacun peut être pour l’autre comme un morceau de pain ou une goulée de joie, lui donnant de savoir au plus profond de lui-même pourquoi il vit. Chacun deviendrait ainsi pain et vin pour l’autre. « 
Eugen Drewermann